The Curious case of Benjamin Button - You never know what's coming for you...
D'aucun vous le diront, un film de David Fincher, en soit, c'est déjà un événement.
De même qu'un film incluant la participation de Brad Pitt ne peut être totalement mauvais. Alors, lorsque les deux compères de Seven et Fight club se retrouvent autour d'un projet aussi atypique, aussi ambitieux et aussi problématique que celui-ci, nul besoin de vous dire que cela fait du bruit dans l'univers, un peu comme une supernova.
Et c'est ce qu'est cette adaptation d'une des nouvelles de Francis Scott Fitzgerald: The curious case of Benjamin Button. Une étoile d'une luminosité incroyable, rendant compte d'un phénomène que l'on croit être l'apogée d'une vie stellaire, mais qui rend compte en fait d'une impressionnante agonie.
Il aura fallu pas moins de quarante ans pour finalement adapter le roman de Fitzgerald, jugé trop coûteux en raison du challenge technique que cela impliquait: faire littéralement remonter le temps à un acteur sur une période de 80 ans. Impensable!
Et pourtant...
"Curieux destin que le mien..." Ainsi commence l'étrange histoire de Benjamin Button, cet homme qui naquit à 80 ans et vécut sa vie à l'envers, sans pouvoir arrêter le cours du temps. Situé à La Nouvelle-Orléans et adapté d'une nouvelle de F. Scott Fitzgerald, le film suit ses tribulations de 1918 à nos jours. L'étrange histoire de Benjamin Button : l'histoire d'un homme hors du commun. Ses rencontres et ses découvertes, ses amours, ses joies et ses drames. Et ce qui survivra toujours à l'emprise du temps...
The curious case of Benjamin Button a été directement inspiré par une pensée de Mark Twain (père littéraire de Tom Sawyer et Huckleberry Finn) : "La vie serait bien plus heureuse si nous naissions à 80 ans et nous approchions graduellement de nos 18 ans". La nouvelle de Fitzgerald est entièrement basée sur cette réflexion à propos de la course du temps, inaltérable: et si celle-ci se trouvait inversée? Et si nous naissions au crépuscule de notre mort et naissions à l'aube de notre vie? Quelles en seraient les conséquences sur nous, sur notre entourage, notre environnement? Le personnage de Benjamin Button incarne un fantasme humain: celui de pouvoir remonter le temps. A ceci près qu'on est bien loin ici d'un voyage spatio-temporel comme dans Retour vers le Futur, mais qu'on assiste à une marche arrière biologique. Un parcours initiatique qui relève d'avantage de la régression que de la résurrection.
D'ailleurs, ce n'est pas un hasard si le film ouvre sur cette (première) curieuse histoire: celle de Monsieur Gâteau (Elias Koteas). Un horloger ayant perdu son fils au front, pendant la Grande Guerre, et qui conçut pour la gare de la Nouvelle-Orléans une horloge dont les aiguilles remontent le temps, comme un rêve fou de pouvoir faire machine arrière, réécrire l'histoire, et enrayer le cours des choses... Un moyen d'effacer la douleur de nos vies, en l'effaçant, purement et simplement. Comme une seconde chance, en sachant déjà ce qui s'est produit, d'éradiquer le pire à venir. C'est l'une des séquences les plus impressionantes du film, d'ailleurs. Une introduction qui semble de prime abord déconnectée du sujet, qui attise néanmoins la curiosité, jusqu'à ce que l'on comprenne le lien entre la mise en marche de cette horloge et la naissance de Benjamin (Brad Pitt).
Ce n'est pas un hasard non plus si Benjamin est abandonné par son père (Jason Flemyng) sur les marches d'une maison de retraite. Comme si l'établissement s'était dressé là, de manière providentielle, pour accueillir cette étrangeté de la nature. Le havre idéal pour un nourrisson au corps de vieillard. Et le meilleur des anges gardiens aux portes de celui-ci: Queenie.
Il est ironique de voir Benjamin faire ses "premiers pas" dans la vie entouré de petits vieux. Ironique parce que, bien qu'étant lui-même dans la peau d'un homme âgé, Benjamin a l'âme d'un enfant. Un enfant prisonnier d'un corps qui ne lui sied pas. Et ironique parce que, être différent au milieu de ces ancêtres peuplant la maison de retraite Nolan, s'avère bien plus salutaire qu'être différent parmi des enfants de son âge, dont la cruauté n'aurait sans doute eu d'égal que le protectionnisme dont il fait preuve auprès du troisième âge...
"You're different from anybody I ever met..."
La question de la différence, du caractère unique de chaque individu, est très largement abordée dans L'étrange histoire de Benjamin Button. A l'instar d'un Forrest Gump, l'histoire se concentre sur un personnage hors du commun, différent de ses semblables, qui cherche à trouver sa voie, sa place, dans la société qui l'a vu naître. Une place qu'il va tenter de trouver au gré de ses multiples voyages, à la rencontre des "autres", ceux qui avancent dans le bon sens, et pourtant chacun à sa manière. Benjamin noue de nombreuses relations au cours de sa vie, avec des personnes qui, chaque fois, ne mettent pas sa différence en avant, comme un caractère essentiel, mais comme une simple composante. D'ailleurs, le film fourmille de personnages aussi incroyables les uns que les autres, comme Mr Daws (Ted Manson), le type frappé (et réchappé) à 7 reprises par la foudre, ou encore Ngounda Oti (Rampai Mohadi), le pygmé. On citera aussi la fantasque Mrs Abott, adepte du caviar arrosé de vodka ayant tenté le traversée à la nage de la Manche, ou encore le Capitaine Mike (Jared Harris), "artiste corporel", imbibé du matin au soir. Tous ces personnages aux personnalités si fortes, si étranges, confortent Benjamin dans l'idée qu'après tout, il n'est pas si bizarre qu'il en a l'air. La vraie différence n'est pas le rajeunissement de Benjamin quand les autres vieillissent, mais le regard qu'il porte sur le monde, et la confrontation de ce regard avec celui d'autrui, forcément dissemblable. Nous savons tous vers quoi nous allons, même si l'issue reste floue, l'inéluctabilité de notre mort pèse nécéssairement dans notre choix de vie. Benjamin, lui, a déjà réchappé à cette mort inéluctable, en somme, et ne sait donc pas vraiment ce qui l'attend. On l'a tant préparé à une mort imminente qu'en s'en éloignant, Benjamin avance en toute insouciance, suivant son propre chemin. Un chemin qu'il est seul à arpenter.
"She was pretty as any picture to me"
L'image de la femme est primordiale dans L'étrange histoire de Benjamin Button. Et décliné autour de trois axes, incarnés par trois femmes.
D'abord l'image de la mère, symbolisé par Queenie (Taraji P. Henson), la femme qui recueille Benjamin à la naissance. Une femme exemplaire dont la bonté n'a d'égal que le courage: recueillir un enfant blanc - et de surcroît aussi "différent" que l'est Benjamin - à une époque où la ségrégation raciale sévissait encore durement, demande beaucoup d'abnégation et d'altruisme. Queenie symbolise à la fois la maternité inconditionnelle, quasi intestine, capable d'amour envers tout un chacun - cette capacité étant sans doute exacerbée par son impossibilité à concevoir elle-même un enfant - et la foi, aveugle, sans faille, en Dieu et ses desseins. C'est une bergère, farouche gardienne de son troupeau de petits vieux - y compris Benjamin, son petit "miracle" - et de son foyer. Une femme au tempérament bien trempé, le coeur gonflé d'amour, une âme charitable par excellence. Nul doute que le vrai miracle dans l'histoire de Benjamin, c'est celui-ci: le hasard qui veut que son père l'ai déposé précisément là où il trouverait un asile tendre et protecteur. Dans la même catégorie, bien que plus fugitivement, on classera Mrs Gateau et Mrs Button.
Ensuite, l'image de la maîtresse, incarné par Mrs Abbott (Tilda Swinton). Rencontrée au détour d'un ascenceur dans un hotel cafardeux de Russie, Elizabeth Abbott symbolise la femme dont on goûte la compagnie avec passion, mais dont on ne tombe pas amoureux. Une femme qui tient chaud, en somme, dont la conversation est salutaire, et l'affection d'autant plus, permettant à Benjamin comme à elle, perdus à part égal dans leur solitude, de briser cet isolement et de ne faire qu'un, l'espace d'une (ou plusieurs) nuit. L'occasion de trouver une épaule solide et une oreille compatissante, rien qu'un instant de leur vie, pour oublier ce qui les a conduit loin de chez eux.
Enfin, le personnage de Daisy (Cate Blanchett) incarne le grand amour. Celui qui défie le temps et vient, partiellement du moins, à bout des obstacles que la vie dresse entre les deux amants, plus souvent séparés que réunis, quand ils ne se trouvent pas dans l'affrontement. Daisy est une femme sauvage, indépendante, tiraillée entre l'image qu'elle a d'elle-même et celle qu'elle a de Benjamin, divisée entre son ambition et sa passion, sa carrière et son coeur. Daisy est une ironie à elle seule: elle est à la fois entière et exclusive, et pleine de contradictions. Elle est le parfait opposé de Benjamin, ce qui se révèle surtout sur la vision qu'ils ont, chacun, du temps qui passe. Benjamin finit par ne plus vraiment prêter attention à la course de celui-ci, tandis que Daisy, elle, en conçoit une certaine aigreur. Celle de vieillir quand son amant rajeunit, celle de voir s'envoler les plus belles années de sa vie quand celles de Benjamin sont (croit-elle) encore devant lui.
"We're meeting in the middle... We finally caught up with each other..."
Le vrai dilemme, dans L'étrange histoire de benjamin Button, tourne autour de cette rencontre improbable entre Benjamin, un septuagénaire (en apparence du moins) et Daisy, une fillette de 7 ans. Il est étrange de se figurer qu'en réalité, tous deux se rencontrent au même âge, sans que personne d'autre que Benjamin lui-même puisse se le figurer. En somme, Benjamin et Daisy, c'est avant tout un amour de... bac à sable. Et dont la forme ne se profilera que tardivement, et difficilement. Il s'agit ainsi du récit d'un énième amour impossible, approché différemment, abordé du point de vue de la différence d'âge. Comment s'aimer quand on ne va pas dans la même direction? Comment s'aimer à reculons? Y'a-t-il seulement un espoir que cela tienne? D'emblée, on sait que cette idylle finira par éclore. Et d'emblée aussi, on sait qu'il n'y a pas d'avenir pour un tel amour, voué à l'échec. Condamné oui, mais promis à des instants d'une rare intensité entre deux êtres, sorte de parenthèse enchantée dans deux existences malmenées par la vie. Une suspension du temps, à l'instant X où tous deux se rejoignent, se rencontrent, à mi-chemin. Ils ont le même âge, enfin. L'âge de vivre cet amour qu'ils nourissent et mûrissent depuis de longues années, loin des yeux mais près du coeur toujours. Le moment de profiter de cette fusion momentanée de leurs chemins respectifs. De profiter de chaque seconde, sans penser au lendemain, quand, de nouveau, l'un et l'autre iront dans le sens contraire de leur moitié. Malgré eux, et même s'ils veulent à tout prix y croire, Benjamin et Daisy savent tous deux que tout devra finir entre eux... sans jamais vraiment se quitter.
Ils ont rescussité Joe Black!
La prouesse technique de ce film n'est pas à démontrer. Faire remonter le temps à un acteur sur une période de 80 ans avec une telle vraisemblance, une telle cohérence, représente un véritable tour de force pour l'équipe technique, et un sacré défi pour le comédien. Là-dessus, rien à redire: Brad Pitt s'en sort mieux que bien, habité par son personnage, distillant un flot d'émotions à travers chacun des âges qu'il traverse à l'écran. La responsabilité était écrasante, et l'enjeu psychologique difficile à occulter. Il ne doit pas être simple de se prêter à ce petit jeu, qui veut que l'on accepte de se voir rajeunir ou vieillir au gré du scénario... Attention à la psyché! Néanmoins, Brad Pitt semble serein de bout en bout dans ce rôle difficile, enclin à tous les bouleversements. Gérer son image avec autant de sagesse relève d'une extrême maturité. Et c'était essentiel, ici.
Outre la prouesse technique qui veut que les maquillages - qui ne semblent pas une seule fois en être - soient d'un réalisme saisissant, le plus bluffant n'est pas tant de voir Brad Pitt en vieillard, que de le revoir... à 20 ans. Véritablement, c'est un des moments les plus saisissants du film. La résurrection de Joe Black. La gueule d'ange d'il y a quinze ou vingt ans, quand Brad Pitt débarquait tout juste de son Missouri natal. Incroyable! Créer des rides est une chose... en effacer "pour de bon" en est une autre! Un choc visuel, véritablement. D'un point de vue purement eprsonnel, l'instant T que j'affectionne le plus est celui où Brad incarne Benjamin à son âge: la quarantaine. Parce qu'il s'agit véritablement de cette bulle dont je parlais plus haut, cette parenthèse où le temps se suspend grâcieusement pour les protagonistes: un âge de sérénité et de plénitude absolue, ce qui transparaît magnifiquement à l'écran. On ne tergiversera pas dessus: la prestation de Brad Pitt sur ce film est imposante. Magistrale. Et la demonstration que le cinéma a définitivement le pouvoir de nous faire traverser les âges...
"Je me disais que rien ne dure jamais... Et que c'est vraiment dommage."
Une réflexion sur l'amour, les femmes, la différence, le destin, le temps... Une réflexion sur une vie d'homme, en somme. Mais, avant cela, bien avant, cette histoire est premièrement une fable sur la mort. Avec l'agonie de Daisy comme fil rouge du récit. Daisy, devenue une très vieille femme, et se préparant à quitter ce monde, souhaitant entendre une dernière fois, de la voix de sa fille Caroline (Julia Ormond), l'étrange histoire de Benjamin Button, tandis que l'ouragan Katrina frappe la Nouvelle-Orléans. Comme une manière de clore ce chapitre, de partir plus légère, enfin, libérée d'un ultime secret... et des souvenirs qui pèsent sur sa conscience. Car ce qui frappe énormément, une fois le film englouti et le périple achevé, c'est que, même en prenant le problème à l'envers, l'issue reste inchangée: que l'on naisse vieillard ou nourrisson, tout est à apprendre au début de notre existence, et que l'on meurt vieillard ou nourrisson, tout se désapprend avant de mourir. Rien ne dure, tout est destiné à fâner, se flêtrir, à mesure que le temps passe. Tandis que c'est la peau de Daisy qui se fâne, c'est l'esprit de Benjamin qui s'étiole. A l'inverse de Daisy, qui emporte avec elle une quantité de souvenirs à la fois douloureux et heureux, Benjamin, lui, s'éteindra dans la plus parfaite ignorance de ce qu'il a été, en toute innocence...
"On va tous dans la même direction. On prend des chemins différents, c'est tout..."
On fait la démonstration ici que, peu importe que l'on remonte le cours du temps ou que l'on suive son fil, les enjeux, eux, restent les mêmes. La seule différence, j'imagine, dans le cas de Benjamin Button, est qu'il quitte cette terre sans le moindre regret, puisque n'ayant pas conscience de sa propre existence alors qu'il "meurt-né". C'est sans doute l'un des moments les plus poignants du film. La régression de Benjamin, qui passe de vieillard puis d'homme à enfant. Et le dernier souffle... Avec cette impression fugitive que l'on recouvre les morts moins par égard pour eux que par égard pour nous.On aura finalement accompagné Benjamin, et Daisy d'ailleurs, jusqu'au bout du chemin, pour un résultat semblable, mais fondamentalement divergent. C'est la grande ironie du film, cette similitude entre les hommes, qui se singularise selon chaque individu. La destination est la même pour tous, seul change le chemin que l'on emprunte pour y accéder...
"We are defined by opportunities, even the ones we miss..."
Il y aurait encore bien des choses à dire sur L'étrange histoire de Benjamin Button, et bien d'éloges à formuler. Le magazine Studio Ciné-Live titrait que David Fincher avait "réussit le film parfait". Je ne sais pas si c'est tout à fait exact, mais il a néanmoins réalisé un chef d'oeuvre, d'une densité incroyable, d'une infinie sensibilité, d'une formidable élégance, au rythme à la fois lent et trépidant d'une vie d'homme, en y incluant tout ce qui fait le sel de cette vie, et tout ce qui nous y blesse, aussi. La trame principale de cette histoire est prodigue, prétexte à tant de questionnements, tant de développements potentiels qu'on pourrait rester là, à en disserter toute une vie. Le plus sage, à mon sens, est encore de voir, ce film, et de s'en faire sa propre opinion. Une seule certitude: aucun être normalement constitué ne pourra se révéler totalement hermétique à ce récit intense, formidablement interprété et prodigieusement réalisé.
EN BREF
*Indice de satisfaction:
*2h35 - Américain - by David Fincher - 2008
*Cast: Brad Pitt, Cate Blanchett, Tilda Swinton, Julia Ormond, Taraji P. Henson, Jason Flemyng, Jared Harris...
*Genre: La vie à l'envers
*Les + : l'interprétation magistrale, la réalisation sans faille, la densité du scénario, la charge maximale en émotions...
*Les - : ...
*Liens: Fiche film Allociné
The Curious Case of Benjamin Button
L'étrange histoire de Benjamin Button